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30.05.2022
Idées

Des orgas qui bifurquent

  • Par Florian Gambardella - Directeur du planning stratégique

Un coup d’éclat le 30 avril, à la remise des diplômes d’Agro ParisTech. Un second, en mode mineur, le 18 mai, dans une vidéo YouTube. Un appel de jeunes diplômés à répondre à l’urgence climatique, mais aussi aux inégalités sociales et économiques, en « bifurquant ». Et quelques interviews données depuis lors, par ces « agros qui bifurquent » comme ils se nomment. Leur message : il faut réduire, tout de suite. Réduire le niveau économique : travailler sur l’autonomie et l’artisanat. Réduire le niveau technique : rejeter le numérique, et plus généralement la technologie de pointe. Réduire le niveau politique : promouvoir l’autogestion à échelle locale – c’est le propos de leur seconde vidéo. De cette séquence tentons de tirer quelques éléments de réflexion pour nos métiers de la communication. Car si l’on souhaite agir dans le débat public et accompagner les nécessaires transitions en cours, on a là un cas pratique riche et complexe.

Une volonté de reprendre le pouvoir qui se généralise

S’il s’agit du collectif qui s’est montré le plus en rupture avec le système éducatif et économique, ces « agros qui bifurquent » sont loin d’être les premiers étudiants à porter dans le débat public leur malaise voire leur révolte face au système actuel. En 2018, le Manifeste pour un Réveil écologique voit pour la première fois des étudiants s’engager à ne pas travailler pour des entreprises ou des projets qui ne sont pas cohérents avec les objectifs climatiques et environnementaux. Plus récemment, la victoire des Polytechniciens contre l’ouverture d’un campus sponsorisé par Total a été l’aboutissement d’une lutte de longue haleine contre la direction de l’école.

Quant au terme, bifurquer, scandé comme un slogan, il est très utilisé actuellement dans les milieux écologistes ou chez les Insoumis. Il s’agit également du titre du dernier livre publié par Bernard Stiegler en 2020, avant sa mort : Bifurquer, l’absolue nécessité. La Biennale de design de Saint-Etienne en a même fait son thème cette année. Le terme a l’avantage d’être immédiatement compréhensible, « il faut changer de voie, de trajectoire, » tout en étant connecté à des notions techniques ou philosophiques telles que la dépendance au sentier.

Le point commun de ces mouvements ? La revendication d’une puissance d’action. Ce mouvement pourrait être salutaire pour les organisations : une volonté d’action, de changement positif, qui prend comme base un diagnostic scientifique largement partagé au niveau politique, économique, social. Mais il est justement dirigé contre les structures établies du politique, de l’économique et du social.

L’action devient une lutte contre des structures vues comme des obstacles – passifs ou actifs – aux nécessaires transformations. La reprise de pouvoir contre l’inertie imposée.

Si elles croient avoir un rôle politique et social positif dans le siècle en cours, l’enjeu est donc vital pour ces organisations. Alors qu’elles doivent se réformer urgemment, de plus en plus de personnes à même de le réaliser préfèrent faire sécession.

Le défi est clair. Comment recréer du choisi là où de plus en plus de personnes ne voient que du subi ? Comment développer l’agentivité des individus au sein du système, afin de pouvoir éviter leur sécession certes, mais surtout pour réussir les nécessaires transformations en cours ?

Redonner du pouvoir aux individus, préalable aux changements systémiques

Redisons-le clairement. Le problème n’est pas que des citoyens – fussent-ils jeunes diplômés – veuillent passer à l’action. Le problème est que les organisations n’arrivent pas à leur proposer un dispositif pour s’exprimer, un espace pour agir, un levier pour avoir de l’impact.

Cela demande aux organisations de construire dès aujourd’hui les conditions de leur propre bifurcation. Il y a là un autre sens possible à la bifurcation: bifurquer en rouvrant les possibles de systèmes jusque lors fermés. C’est d’ailleurs la signification que donne Bernard Stiegler : la capacité à générer de l’imprévu dans un système standardisé, où tout est calculé pour que rien ne varie. En autorisant les individus à agir, et en rendant les organisations plus accueillantes et capables d’accompagner ce type d’actions.

Alors on fait quoi ?

Que peut faire le communicant ? Il est à la fois central et impuissant à lui seul. Impuissant bien sûr s’il n’y a pas de réelle volonté, de la part de l’organisation, de changer. Il ne pourra que produire quelques belles vidéos de plus auxquelles personne ne croit plus. Mais s’il se fait le bras armé d’un processus sincère, alors son rôle est central. Pour réussir à convaincre les personnes qui veulent vraiment d’un changement de rejoindre – ou de rester – dans les organisations qui en ont elles aussi tant besoin.

1. On construit un autre imaginaire de la bifurcation

Ce défi ne peut pas être relevé sans un travail sur le narratif, sur les imaginaires de ces organisations. Le processus est enclenché depuis plusieurs années. Les réflexions sur la raison d’être des entreprises, qui connecte la stratégie et l’impact, mais aussi la stratégie et sa narration, sont des premiers pas. Néanmoins, c’est loin de suffire. En effet, le narratif qui est largement partagé par les organisations à leurs publics, tourne dans les faits souvent au désavantage de celles-ci.

Montrer les évolutions possibles, s’engager à des futurs meilleur –  la neutralité carbone en 2050 – n’a pour conséquence que d’augmenter la dissonance cognitive en montrant un futur qui ne peut pas advenir dans les conditions actuelles. Et cela conduit à nourrir le découragement ou l’envie de rébellion. Dit autrement, l’utopie ou la dystopie mettent en garde sur le présent, mais est-ce qu’elles aident vraiment à le réformer ?

Cela ne veut pas dire qu’il faut complétement abandonner de tels récits. Cela signifie plutôt qu’il faut en développer d’autres. Un récit sur soi-même, au présent, sur la capacité des organisations à fonctionner autrement. Sur les opportunités et les faiblesses, sur les défis.

Le changement ne doit plus ainsi venir seulement, dans les mots comme dans le fonctionnement, du futur, de la jeunesse, de la relève. Cela ne profite qu’aux tenants du statu quo, et piège tous les autres : les jeunes, idéalisés mais relégués dans un rôle de conscrits pas encore appelés au combat et donc pas encore légitimes ; les vieux, bloqués dans le rôle injuste du boomer réac’ hostile au changement ; et les organisations, figées dans une demande de réforme impossible et toujours ajournée.

2. On fait s’engager les décisionnaires

La conséquence est claire : pour amener les plus jeunes – et tous les autres volontaires – à s’engager pour faire bifurquer les organisations, il faut que celles-ci et les décisionnaires en leur sein, aient déjà engagé un tel mouvement.

Comme élément de preuve et de confiance, pour convaincre de la sincérité de la démarche, mais aussi comme travail préalable, de design d’expérience et de relation, qui permette aux publics de réellement se saisir de la mission qu’on leur confie. Il s’agit d’un mouvement complexe mais crucial, qui part d’eux pour donner à d’autres de l’agentivité, de la puissance d’agir.

3. On change les méthodes de communication

Plus que jamais de nos jours, dans un contexte de défiance et d’injonction au changement, le but d’une organisation doit être l’alignement entre ce qu’elle dit et ce qu’elle fait. Si donc elle veut montrer que ses engagements sont sincères, sa communication sur le changement doit aussi changer de manière de faire. Prouver en acte son changement.

Tout d’abord, viser la responsabilité dans la production de ses contenus et supports : écodesign, accessibilité, utilité. Mais il ne s’agit que d’un préalable, nécessaire mais non suffisant.

Le vrai défi est de passer d’une communication qui impose un discours, à une communication qui propose un échange. Qui prend l’initiative d’impulser un message, dans l’objectif d’engager un vrai dialogue, donner une place, autoriser et déléguer en retour de l’initiative à ses parties prenantes, qui ainsi pourront vraiment prendre part au fonctionnement de l’organisation. Une communication qui ose moins parler seule et plus chercher avec ses publics.

 

Car c’est cela communiquer : raconter des représentations partagées, bâtir les conditions d’un échange, designer des pratiques nouvelles. C’est créer, en somme, du commun. Toutes sortes de choses à même de développer cette puissance d’action dont on a tant besoin.

Cette bifurcation.